17/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Le paradis du kung-fu traditionnel

01/07/2007

>> Tous les styles sont permis, tant que l'efficacité prime. Le kung-fu est un art à Taiwan que l'on pratique dans des endroits très divers et quel que soit l'âge. Au fond, il s'agit d'une grande famille

Tournées des disciples de de l'école de Shaolin, en Chine, ou démonstrations de la sélection nationale chinoise pour les Jeux olympiques, le kung-fu est présenté dans le monde entier comme un sport des plus spectaculaires.

Ses mouvements dévoilent un esthétisme et des qualités athlétiques hors du commun. Mais il ne s'agit là que de la partie visible de l'iceberg pour cette activité physique qui peut être pratiquée à tout âge, quelles que soient ses capacités et le milieu dans lequel on évolue.

Le mot kung-fu utilisé en Occident tire son origine du cantonais, certainement en raison du cinéma de Hongkong. D'une manière générale, son équivalent en chinois mandarin, gongfu, décrit chez un individu la maîtrise et la réalisation à la perfection d'une activité ou d'une technique.

Du temps et de l'efficacité

Les Taiwanais ne comprennent donc pas toujours ce à quoi vous faites allusion si vous employez ce terme hors du contexte qui s'y prête. Gongfu peut ainsi être utilisé par exemple en calligraphie, en peinture ou encore en gastronomie. Il évoque dans tous les cas la notion de durée et d'adresse.

Les sinophones disent g ongfu wushu pour parler des arts martiaux. A Taiwan, on préfère les expressions zhongguo wushu ou guoshu , cette dernière signifiant « arts nationaux » – ce qui en dit long sur la place de ce sport dans le patrimoine culturel taiwanais.

Tous les experts vous diront d'ailleurs ici qu'il existe encore dans l'île des styles de kung-fu traditionnels qui ont pratiquement disparu en Chine, en particulier à la suite de la Révolution culturelle.

Aujourd'hui, le kung-fu est promu par la Chine en tant que discipline sportive. Des championnats du monde de wushu sont organisés tous les deux ans sur l'autre rive du détroit, et ce sport figurera pour la première fois aux Jeux olympiques qui se tiendront à Pékin en 2008.

Les compétitions distinguent clairement les diverses catégories de combats ( sanda) des enchaînements codifiés ( taolu ), ainsi que les styles du nord de la Chine ( changquan ) et du sud ( nanquan ) ou encore les styles « externes » de ceux dits « internes », représentés par le taï-chi. Cette vision moderne du kung-fu en tant que simple sport, aussi esthétique soit-il, ainsi que cette classification, même si elle présente l'avantage d'être relativement commode, ne fait pas l'unanimité à Taiwan.

Pour la plupart des maîtres de l'île, le kung-fu est bien plus qu'un sport : c'est à la fois un art de combat et un mode de vie, et les subdvisions opérées ne reflètent que partiellement la realité beaucoup plus complexe de la pratique martiale. Selon eux, il est difficile de retirer aux enchaînements leurs applications martiales.

Les influences mêlées

A Taiwan, l'efficacité prime sur l'esthétisme, ce qui n'empêche en rien le raffinement. Il est d'autre part de plus en plus difficile de séparer aussi distinctement un style utilisant principalement des techniques de jambes et des mouvements longs ( changquan ) de techniques plus proches du corps à corps et recourant en priorité aux membres supérieurs ( nanquan ).

Les arts martiaux se sont enrichis au fil du temps, s'influençant les uns des autres, et ont intégré les techniques d'autres écoles dans un souci permanent d'adaptation. Enfin, vous diront les maîtres, n'insister que sur la force physique et la rapidité d'exécution (styles externes) ou sur la mobilisation de l'énergie interne ( qi ) et la lenteur des mouvements (styles internes) n'est pas satisfaisant pour quelqu'un qui pratique cet art à un niveau avancé : il faut savoir combiner les deux, même si, avec l'expérience et l'âge, le qi prend une importance accrue.

L'histoire du kung-fu à Taiwan remonte à la dynastie des Qing (1644-1911), lorsque Zheng Chenggong  [鄭成功] (alias Koxinga) chassa de Formose les Hollandais, en 1662, et s'y installa. Il comptait parmi ses soldats de grands experts en arts martiaux de la région du Fujian, dans le sud-est de la Chine.

Par la suite, l'immigration en provenance du sud du Fujian et du nord-est de la province de Canton apporta d'autres experts pratiquant le style du sud. Tout cela se faisait le plus souvent dans l'ombre, la dynastie des Qing n'autorisant la pratique du kung-fu qu'à son élite, à l'instar de la société secrète Hong qui est à l'origine notamment de la présence, sur le littoral ouest de l'île, de la boxe de la Grue blanche.

La retraite à Taiwan des troupes de Tchang Kaï-chek, en 1949, a fortement influencé le développement du kung-fu dans le nord de l'île, grâce aux experts issus de l'Ecole centrale des arts nationaux – c'est-à-dire martiaux – mise en place par le Kuomintang en 1927, à Nankin, en Chine. Il s'agissait alors du plus important centre de recherches et de perfectionnement consacré à la pratique des arts martiaux traditionnels en Chine. Il rassemblait les meilleurs experts du pays. L'invasion japonaise, en 1937, interrompit son activité et, avec la guerre civile qui suivit, les principaux maîtres qui y enseignaient se réfugièrent à Taipei.

L'ouverture d'esprit et la volonté d'échange qui animaient ces hommes contribua à leur cohabitation ici, les contacts se multipliant avec les styles qui existaient déjà depuis longtemps dans le centre et le sud de l'île.

Le refuge des maîtres

Il est impossible de citer tous les grands maîtres qui ont consacré leur vie à l'enseignement. On peut tout de même en présenter quelques-uns qui sont plus connus à l'étranger où leur art est perpétué.

C'est le cas de Han Ching-tang [韓慶堂], diplômé en tête de sa promotion à Nankin. Il est à l'origine de l'enseignement des arts martiaux chinois dans la plupart des lycées et universités de Taipei. Il a contribué non seulement à la diffusion de la boxe longue de Shaolin du nord mais aussi aux techniques du qinna – l'art des saisies, des clés et des luxations – en partie à l'origine de l'art martial japonais aïkido. Cette discipline, qui fait appel à l'utilisation des particularités physiques des articulations du corps humain, est efficace quelle que soit la morphologie des pratiquants, car elle n'implique pas le jeu de la force physique.

On peut citer encore Wang Sung-ting [王松亭], pour le style de la Mante religieuse ( tanglang quan) reconnaissable à ses techniques de crochets à trois doigts et ses frappes avec le revers du poignet, ainsi que Chang Ke-chih [張克治] pour le hong quan (boxe de la famille Hong), qui met l'accent sur un style de combat rapproché célèbre pour ses techniques de griffes du tigre. Liu Yun-chiao [劉雲樵] a pour sa part largement diffusé le baji quan (la boxe des Huit Directions), un art martial très ancien issu de l'est de la Chine.

Il existe également à Taiwan de très grands maîtres dans les styles internes, à l'instar du bagua zhang (paume des Huit Trigrammes), du xingyi quan ( poing de la Forme et de l'Esprit) et du taï-chi, tous pratiqués ici dans leur forme la plus ancienne, dans leur version la plus martiale. Il n'est pas rare d'observer dans les parcs que ceux qui le pratiquent utilisent prioritairement la paume des mains et des déplacements en cercles. On peut aussi facilement tomber sur des Taiwanais alternant des mouvements lents et explosifs.

Le plus souvent, on reconnaît les mouvements lents du taï-chi apprécié pour ses vertus de gymnastique douce. Taiwan a bénéficié dans ce domaine de l'enseignement de grands maîtres venus de Chine comme Su Fun-yuen [蘇逢元], Cheng Man-ching [鄭曼青] ou Wang Yen-nien [王延年]. Ce dernier enseigne un style de taï-chi qui n'est plus pratiqué en Chine et, en tant que seul maître survivant de son école, il s'est fixé pour mission de transmettre ses connaissances pour que son art ne soit pas perdu. Grâce à ses efforts, son style est en plein essor à Taiwan et dans plusieurs pays, notamment francophones.

Enfin, on ne saurait oublier les maîtres qui sont venus s'installer à Taiwan dans les années 1960-1970. C'est le cas de Lo Man-kam [盧文錦] qui est arrivé de Hongkong pour enseigner le wing chun (yongchun quan en mandarin), c'est-à-dire littéralement la boxe du Printemps radieux, une boxe du Sud créée il y a plus de 300 ans par une nonne bouddhiste, initialement pratiquante du style de la Grue blanche.

Cet art qui vise à dévier la force n'est pas particulièrement spectaculaire puisqu'il privilégie l'économie de gestes pour une efficacité maximale en combat. Lo Man-kam s'est rendu à de nombreuses reprises à l'étranger, y compris en France où il a animé plusieurs stages. ■


DES STYLES OUVERTS À TOUS

Il existe à Taiwan plusieurs centaines de styles de kung-fu traditionnels, certains étant issus de l'observation d'animaux comme la mante religieuse, la grue blanche, le tigre, le singe, l'aigle, le serpent, etc. D'autres font référence à la nature en général comme en témoignent les formes dites de la Fleur de prunier ( meihua quan ). Les personnages illustres de la Chine ancienne ne sont pas ignorés non plus : la boxe de l'empereur Taizu (taizu quan) , des Song, étant l'une des plus anciennes dans l'île. Plusieurs styles portent des noms de famille (Yang, Chen, Hong, Wu etc.) dans la mesure où, au départ, ils faisaient l'objet d'une transmission secrète au sein de celles-ci – une pratique en cercle fermé.


LA FAMILLE KUNG-FU

Trouver un club ou un bon professeur de kung-fu est chose aisée à Taiwan, à condition toutefois d'interroger son entourage ou de parcourir en ville les parcs tôt le matin ou en soirée. Là, personne ne vous abordera pour vous dire que son kung-fu est le meilleur et qu'il peut vous l'enseigner. La publicité n'est d'ailleurs pas le point fort des enseignants et des clubs de kung-fu, même s'ils ont dû récemment s'organiser pour attirer les jeunes face à la popularité du taekwondo (ce sport de combat d'origine coréenne a permis à Taiwan de gagner en 2004 ses 2 premières médailles d'or aux Jeux olympiques) ou des sports de balle nord-américains tels que le base-ball et le basket. Les Taiwanais, ouverts et accueillants comme à leur habitude, mais aussi respectueux des traditions, n'hésitent pas à enseigner leur kung-fu, dans une relation de respect mutuel. Il faut alors faire preuve de persévérance et de sérieux. Les Occidentaux sont souvent surpris par les relations directes et informelles qui s'établissent. Pas besoin de fournir de certificat médical, ni de souscrire une licence ou une assurance sportive. Les lieux d'entraînement peuvent parfois sembler insolites : à proximité d'un temple, dans une galerie marchande, à la sortie d'une station de métro, dans un parking ou sous tout autre abri par temps de pluie. Même l'esplanade d'un monument comme le mémorial Chiang Kai-shek convient. Le kung-fu se pratique le plus souvent en extérieur, dans des endroits où il côtoie d'autres styles ou d'autres sports – pas toujours des plus calmes d'ailleurs (cours de hip-hop ou de danse du ventre, par exemple). Dans tous les cas, rien n'étonne ni ne fâche. Ici, pas non plus de ceinture de couleur indiquant le niveau, ni même de rituel systématique du salut, le fond prévalant sur la forme. On s'adresse à ceux avec qui on s'entraîne en les appelant « frères et sœurs » ( shi xiongmei ). En fait, il s'agit d'une véritable famille.

Les plus lus

Les plus récents